LA CHRONIQUE DE BERTRAND DUBOUX

    

LE CYCLISME

 selon Daniel Gisiger

Le meilleur exemple pour les juniors suisses

Alors qu’il approche de ses 60 ans, Daniel Gisiger est animé de la même passion qu’à ses débuts, celle qu’on lui a connue lorsqu’il était l’un de nos meilleurs amateurs Elite au RRC Olympia Bienne avant de passer professionnel, en 1977, dans l’équipe Lejeune sous la direction du Lyonnais Henry Anglade. Exigeant avec lui même, attentif au moindre détail, il a mené durant douze saisons au plus haut niveau une carrière magnifique qui comprend quelque cinquante succès dont le GP d’Isbergues, l’Etoile des Espoirs, deux fois le GP de Gippingen, trois fois le GP des Nations et le Trophée Baracchi, deux étapes du Tour d’Italie, une étape contre la montre du Tour de Romandie, le prologue du Tour de Suisse en 83. Sans oublier les Six Jours de Zurich 1988 avec Jörg Mueller, sa dernière victoire, avant d’assumer durant deux saisons le rôle de directeur sportif de l’équipe professionnelle lucernoise Frank Toyo.

Détenteur du record du monde de l’heure amateur sur piste couverte  (46km745 en juin 1977 au Hallenstadion), médaillé de bronze de poursuite individuelle et par équipes au Mondial de San Cristobal (Vénézuela), ce spécialiste de l’effort solitaire est aussi  un fin connaisseur de la piste dont il transmet les subtilités et les ficelles à la nouvelle génération du cyclisme suisse. Une relève de grande qualité qui fait désormais partie de l’élite mondiale et se prépare activement pour les JO de 2016 à Rio de Janeiro.

De cette réussite, Daniel Gisiger a de quoi être fier. La fédération suisse aussi, qui n’a pas su voir ses grandes qualités et ne lui a pas proposé de contrat comme entraîneur national alors qu’à l’époque de sa reconversion il fallait assumer la lourde succession du fameux Oscar Plattner. Adepte de la méthode d’enseignement développée par l’avant-gardiste Paul Köchli, il était armé intellectuellement, techniquement et dans tous les domaines de la formation pour prendre les rênes de notre cyclisme. Mais son savoir, le Biennois (né à Baccarat, dans les Vosges, d’une maman française et double national) est allé le faire apprécier dès 1991 en Nouvelle Calédonie, la patrie de sa première épouse, après avoir obtenu à Paris son brevet d’Etat 2ème degré comme entraîneur, ce qui correspond à la plus haute qualification en Suisse !

Pendant douze ans, au bénéficie d’un poste de CTS (conseiller technique sportif), il a ainsi largement contribué à l’affirmation des pistards calédoniens dont Laurent Gané, champion du monde de vitesse en 1999 et champion olympique en 2000, est la plus brillante illustration. A son retour en Suisse, engagé par l’UCI dès 2003, Gisiger fut l’un des entraîneurs (piste et endurance) du Centre mondial de cyclisme, à Aigle, avant de prendre en mains tout de même, mais dans des conditions très difficiles financièrement et aussi sur le plan de l’organisation interne, les destinées de la formation au sein de Swiss Cycling en 2005.

Aujourdhui que la fédération a épongé ses dettes (plus d’un million), les fins de mois sont plus faciles pour Daniel Gisiger qui le mérite enfin. Avec quelques autres, dont le Vaudois Michel Vaucher, il est à l’origine de cette relève prometteuse que l’on voit poindre depuis quelques saisons sur piste et sur route. Responsable des juniors mais aussi éducateur, coach et directeur sportif, il transmet ses connaissances, son expérience et ses valeurs. Ses conseils pratiques, ses qualités humaines reconnues en font un entraîneur de grande qualité.

            - Travailler avec les jeunes est une immense satisfaction pour moi, reconnaît-il. Je suis content avec les coureurs qui me le rendent bien. J’ai toujours la flamme, j’ai envie. C’est magnifique avec les juniors. Ils sont toujours hyper motivés, ils donnent tout ce qu’ils ont. C’est le cyclisme que j’aime. Ce n’est pas comme le Pro Tour où chacun réfléchit quinze fois avant de tenter quelque chose…

Parfois il lui arrive tout de même de marquer sa déception, comme à l’arrivée de l’étape de montagne du dernier Tour du Pays de Vaud, aux Diablerets. Là où le Bernois Gino Mäder a perdu son maillot jaune et où l’Américain Adrien Costa a forgé son succès final.

            - C’est vrai que les Suisses ont mal couru et n’ont pas été très solidaires, admet-il. Dans le col des Mosses, l’Américain était au-dessus du lot. Il est parti et personne ne pouvait le suivre. Quand l’écart est encore faible, on ne laisse pas le petit Gino rouler tout seul. En tant qu’équipe, si on prend une mauvaise décision, on la prend ensemble. Après, quand il y a 40 secondes, Patrick (Müller) et Martin (Schäppi) doivent aller le lui dire. Si on sent que Costa est trop fort, on ne va pas se tuer derrière lui. Là c’est une autre tactique : on se dit qu’on a perdu le Tour et on roule alors pour la deuxième place. Car sinon tu vas te faire contrer et là tu vas tout perdre.

Gino Mäder

Martin Schäppi

Un épisode de course comme il s’en produit souvent. Le cyclisme n’étant pas une science exacte, les juniors ont droit à des circonstances atténuantes. Ils sont là pour faire leurs classes et apprendre et personne ne leur tiendra rigueur.

            - Ce n’était pas de la mauvaise volonté mais il y avait quand même un petit peu d’égoïsme, admet Gisiger. Surtout Schäppi, qui avait perdu une minute et demie le jour précédent : quand il voit le maillot jaune, un junior de 1ère année,  se faire larguer, il doit attendre. Mais ils ont eu une belle réaction d’orgueil le dernier jour. Ils ont attaqué, Schäppi fait une belle échappée et fait travailler les autres. Après, il y a Patrick qui attaque, Gino qui attaque : il n’y avait plus que deux Américains à l’avant. Donc ils ont presque réussi à renverser la vapeur. Ils ont essayé, c’était bien.

Place désormais aux championnats d’Europe à Nyon (9-13 juillet) où l’on devrait retrouver dans l’équipe nationale pratiquement les mêmes qu’au Tour du Pays de Vaud.

            - Müller, Schäppi, Mäder sont vraiment bien. Et sur ce parcours, je pense qu’un Selenati sera aussi pas mal.  En tant que pays organisateur, on a droit à sept coureurs. Il y a du choix. Le petit Cyril Kunz est un peu juste mais il est malin. Il a fait 2ème à Grandcour. Il sait frotter. Je peux lui donner sa chance.

Qu’attendre de l’équipe de Suisse ?         

Patrick Müller

- Patrick Müller a prouvé qu’il est peut être parmi les tout meilleurs. L’an dernier, dans les courses en Italie avant les championnats du monde, il a fait 3ème. Si ça va vite, si ça arrive au sprint, si l’équipe roule un peu pour lui, il a montré à Grandcour qu’il peut y arriver. J’aimerais bien en avoir un dans les six-sept premiers. Ca peut être deuxième-troisième ou septième. Pour gagner ? Je pense qu’ils ont le potentiel. S’il y a du vent, si la course est très dure, ils ont montré au TPV que quand ça va vite, que quand les meilleurs attaquent, ils sont là. Faut pas uniquement attendre pour essayer d’en placer un au sprint.  Je pense qu’ils ont le potentiel pour être avec les meilleurs.

BD, 04.06.2014