LA CHRONIQUE DE BERTRAND DUBOUX

    

Tour de l’ennui

et menace sur le cyclisme !

J’ai de l’admiration pour ceux qui acceptent de passer quatre à cinq heures par jour devant la télé pour suivre les étapes du Tour de France. Car aujourd’hui « la plus grande course au monde », comme prétendent les médias français, ne vaut plus que par les paysages qui servent de décor à son action. Chaque jour, c’est le même scénario : une échappée matinale à ne pas rater, puis 100 à 150 kilomètres « pour montrer le maillot » avec l’aval du peloton qui fait joujou avec les attaquants avant un final à haute vitesse pour mettre les sprinters sur orbite. Ou alors une offensive en montagne qui ne dérange pas les cadors et conclue victorieusement par un second couteau plus opportuniste et plus en jambes que ses compagnons de route.

Un constat accablant et consternant qui traduit bien l’évolution de la compétition, désormais aux mains des managers, eux mêmes soumis et manipulés par des patrons d’équipe qui en veulent pour leur argent mais sans se préoccuper du spectacle offert au public. Une forme de retour sur investissement qui dénature l’esprit du vélo et désespère Bernard Hinault, dont le tempérament de conquérant faisait les beaux jours du sport cycliste dans les années 1980.

Quant aux favoris et outsiders, on se demande où ils sont, ce qu’ils attendent pour « dégoupiller » au lieu de forcer l’allure uniquement dans les deux derniers kilomètres de l’ascension finale, et encore ! C’était le cas durant la première semaine de course, ça l’est resté jusqu’au bout. Face à cette réalité, certains anciens doivent se retourner dans leur tombe. « Les étapes de montagne du Tour ne sont plus qu’une procession ! », déplore depuis plusieurs saisons Federico Bahamontès, le vainqueur de 1959, plusieurs fois roi des grimpeurs.

Difficile de lui donner tort alors que les grandes manœuvres ne le sont que dans l’esprit des commentateurs. En 2016, elles n’ont jamais réellement commencé. Et pourtant, beaucoup ont perdu leurs illusions au fil des jours: Contador, accablé par deux chutes, a abandonné ; Van Garderen, Aru, Barguil, Thomas, Rolland, Kelderman en grande difficulté dès que les pourcentages devenaient importants ; Porte relégué à 2’10 après une crevaison qui l’a laissé seul au bord de la route le premier jour et Pinot à la trappe ! Quant à Quintana, il n’a jamais mis le nez à la fenêtre, le plus souvent calé dans les roues, totalement invisible et passif dans le sillage de Froome qui a attaqué en descente (c’est nouveau) plutôt qu’en montée pour prendre 13 secondes à ses adversaires et s’emparer du maillot jaune… C’est à se demander si l’opposition était là pour gagner le Tour ou simplement tenter de monter sur le podium à Paris ?

Heureusement qu’il y a eu l’offensive de Bardet pour réveiller la course vers St.Gervais/Le Bettex. Un exploit espéré, longtemps souhaité et enfin arrivé ! Il n’en a pas fallu plus pour en faire le dauphin de Froome sur les Champs Elysées, devant Quintana, le co-favori, qui n’a fait que suivre durant trois semaines, ce qui lui a tout de même assuré une place sur le podium final ! Drôle de Tour qui n’excite plus que les juilletistes en tongues et bermudas, qui n’intéresse plus que les irréductibles du vélo et désespère toujours plus les suiveurs attitrés qui n’ont plus rien à mettre en une des journaux, si ce n’est la chute de Contador ou l’incident du Mont Ventoux qui a vu Froome faire un jogging de 100 m au milieu d’une foule en délire !

Le Tour est devenu un leurre où l’emballage y est plus important désormais que le contenu ! La faute a l’évolution de la société, via la télévision, qui encourage le sport-business. Difficile, voire impossible d’échapper à cette évolution que l’UCI elle-même, désormais totalement aux mains des Anglo-Saxons, cautionne et encourage en octroyant les championnats du monde sur route au Qatar ! Sans parler du futur World Tour 2017, cher au président Cookson et à ses subordonnés, qui propose désormais 37 épreuves majeures aux quatre coins du monde, avec obligation aux équipes de 1ère division de participer à l’ensemble du circuit. Ce qui ne va pas manquer, par nécessité, de faire exploser les effectifs d’équipes et les budgets en creusant le fossé entre les « riches » et les « pauvres » ! Comme si le sport cycliste, en pleine crise économique, avait besoin de ces excès et du schisme qui s’annonce et qui risque de laisser bon nombre de formations sur le bas-côté de la route !

C’est l’objectif du petit groupe des initiateurs de Valon, cette cellule de nantis qui veut s’approprier le contrôle du vélo sur le plan professionnel avec l’aval irresponsable de l’UCI, désormais manipulée de l’intérieur par ceux qui ont l’argent et qui veulent maintenant le pouvoir. Leur objectif ? Favoriser leurs desseins et rentabiliser au maximum leurs investissements. Avec toutes les dérives que l’on voit dans le sport américain (notamment en NHL et NBA) : cadences infernales, manque de récupération, marché des transferts, escalade des salaires, dopage, etc.

La menace est réelle : c’est plus qu’une alarme qui retentit et qui fait bondir, à raison, Marc Madiot, le patron de la FDJ, et Richard Chassot, l’organisateur du Tour de Romandie et aussi directeur de l’AIOCC et membre du Conseil du cyclisme professionnel. C’est la remise en question totale de l’avenir du sport cycliste et de ses fondements. Entre ceux qui veulent conserver au cyclisme ses racines européennes et ses traditions et ceux qui veulent nous faire croire qu’il est un sport mondial, comme le football, alors qu’il n’est qu’international !

 

Bertrand Duboux, 13 octobre 2016